Writings
2024
Enquête surréaliste, MAGMA X CENTRE POMPIDOU
POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ? LA POÉSIE EST UN CHANT, UN CRI, UNA VAPEUR OU UNE COLÈRE LA POÉSIE ME MONTE AU BOUT DES LÈVRES – VOUS OREILLE SI LOINTAINE ! MAIS SI PAR DESSUS TOUTES SES FRONTIÈRES LE TEXTE CI-DESSUS PARU DANS PROSÉSIES ÉCRITES DE 1963 FAIT ÉCHO À CELUI CI- POUR QUE LE CORPS DE LETTRE, LE CORPUS D’ÉCRITURE RENCONTRE UN AUTRE ALORS |
2023
ORLAN, in “ORLAN“, “The Baroque aspect in my work“, Hatje Cantz, pp. 117-119
ORLAN, sous la direction d’Ariane Coulondre, “Germaine Richier”, catalogue d’exposition, Centre Pompidou, pp. 190-191.
DANS LE MONDE DES SCULPTURES DE GERMAINE RICHIER LES SCULPTURES REPRÉSENTENT LA PLUPART DU TEMPS DES FEMMES, OUI MAIS DES FEMMES HYBRIDÉES, CE QUI ME PARLE PAR SON IMPACT AVEC MES PROPRES OEUVRES DE SELF-HYBRIDATIONS (PRÉ-COLOMBIENNES, AFRICAINES, AMÉRINDIENNES, CHINOISES…) CES SCULPTURES SONT MI SCULPTURE-FEMME, MI SCULPTURE-INSECTE : MANTE RELIGIEUSE, SAUTERELLE, ARAIGNÉE… MAIS DANS TOUTES LES SCULPTURES QUI M’INTÉRESSENT, IL Y A EN PARTICULIER LE CHEVAL À 6 TÊTES QUI EST NON HYBRIDÉ, MAIS TRÈS ÉTRANGE, TRÈS PARTICULIER. CE CHEVAL À 6 TÊTES ME CAPTE PARTICULIÈREMENT, IL APPARAÎT SE CABRER, DANSER ET LES 6 TÊTES SOUFFRENT ET HURLENT, ET CERTAINES TIENNENT MAL. ELLES TIENNENT « PAR UN CHEVEU », À UN FIL ELLES SONT BLESSÉES, PRÊTES À TOMBER 1 CAR C’EST UNE FEMME ARTISTE QUI A ÉTÉ IMMÉDIATEMENT RECONNUE, PERSONNE NE L’A TRAITÉE COMME ON TRAITE HABITUELLEMENT LES FEMMES ET LES FEMMES ARTISTES. TOUTES CES SCULPTURES NE SONT PAS FAITES POUR SÉDUIRE LES FEMMES INSECTES SONT PRÊTES À BOUGER ET LA FEMME COQ EST DRESSÉE ELLE A DES SEINS ET DES AILES ET LA CRÈTE EST À PEINE ÉVOQUÉE, PETITE IL EST GRAND, COMME INDIQUÉ DANS LE TITRE 2 IL EST LE PLUS GRAND ET PLUS GRAND QUE LE CHEVAL, PLUS GRAND QUE L’HYDRE À TROIS TÊTES TEL MA SELF-HYBRIDATION AFRICAINE : MASQUE TRICÉPHALE OGONI DU NIGÉRIA ET VISAGE MUTANT DE FEMME FRANCO-EUROPÉENNE. LE CHEVAL L’EMPORTE AILLEURS, IL GALOPE HORS D’UN MAUVAIS RÊVE, IL EST COMME DÉJÀ DÉTRUIT, DANS ET PAR L’ORAGE ET LE TEMPS. ON SENT QU’IL VA SE DÉSINTÉGRER, IL SENT LA MORT, À LAQUELLE IL ESSAYE D’ÉCHAPPER MAIS IL N’EST QUE MATIÈRE, DANS SA MATIÈRE, DANS CE VISIBLE. IL EST UN MYSTÈRE QUI NOUS FASCINE, NOUS INTERROGE, SUR LES MARQUES DU TEMPS, SUR L’ÉROSION DES CORPS. ORLAN |
ORLAN, sous la direction de Brigitte Benkemoun, “Dora Maar, secrets d’atelier“, Dilecta.
LE MONDE DE L’ART S’EST SURTOUT INTÉRESSÉ JUSQU’ICI À DORA MAAR PHOTOGRAPHE. ELLE A POURTANT TRÈS VITE RENONCÉ À LA PHOTOGRAPHIE. ELLE A PEINT ET DESSINÉ PENDANT PRÈS DE 50 ANS. SANS SUCCÈS MAIS SANS JAMAIS CESSER DE TRAVAILLER. N’EST-CE PAS LE SIGNE D’UNE VÉRITABLE ARTISTE ? DANS UN PREMIER TEMPS, IL SEMBLERAIT QUE DORA MAAR SE SOIT INTERDIT LA PEINTURE POUR SE DIFFÉRENCIER DE PABLO PICASSO. ET DANS UN SECOND TEMPS DE SA VIE, QU’ELLE SE SOIT PLIÉE À SON INFLUENCE. LE MONDE DE L’ART RÉDUIT SOUVENT LES ARTISTES À UNE SEULE PRATIQUE, LA PLUS MARQUANTE, LA PLUS MÉDIATIQUE. PAR EXEMPLE, ON ME MET SOUVENT DANS LA CATÉGORIE “ARTISTE DE LA PERFORMANCE” POURTANT JE SUIS UNE ARTISTE MULTIMÉDIA QUI N’EST PAS ASSUJETTIE À UN MATÉRIAU, À UNE PRATIQUE ARTISTIQUE, À UNE TECHNIQUE OU À UNE TECHNOLOGIE QU’ELLE SOIT ANCIENNE OU ACTUELLE. J’UTILISE TANTÔT L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, LA ROBOTIQUE, LA RÉALITÉ AUGMENTÉE, LES NFT, LA SCULPTURE EN MARBRE DE CARRARE, EN RÉSINE, EN 3D PRINTING, LA VIDÉO, LA PHOTO, LA CULTURE DE MES CELLULES, DE MA FLORE BUCCALE, INTESTINALE ET VAGINALE, LA CHIRURGIE PLASTIQUE, LA PEINTURE, LE DESSIN, LES INSTALLATIONS, LA MUSIQUE, L’ÉCRITURE…
DANS L’ART DE DORA MAAR, POLITIQUE ET ESTHÉTIQUE SE MÊLENT À TRAVERS LA RECHERCHE DU MERVEILLEUX, DE LA MAGIE URBAINE, DE L’INCONGRUITÉ. DANS LA RUE, ELLE LIE SOUVENT PHOTOGRAPHIE SOCIALE ET ACCENTS SURRÉALISTES. MALGRÉ SA CONSCIENCE POLITIQUE ELLE PARAÎT NE PAS INTÉGRER DANS SA VIE QUE LE CORPS EST POLITIQUE, QUE LE PRIVÉ EST POLITIQUE, QUE TOUT CE QUE L’ON FAIT EST POLITIQUE. ET JE M’INSURGE EN VOYANT LE DÉSASTRE, LA DÉTRESSE QUI PU LA POUSSER, LA FAIRE PASSER DE CETTE CONSCIENCE POLITIQUE À L’ANTISÉMITISME, ET À DEVENIR UNE GRENOUILLE DE BÉNITIER REFERMÉE SUR ELLE-MÊME. ELLE SEMBLERAIT QU’ELLE SOIT PASSÉ D’UNE DÉPENDANCE À SON DIEU SUR TERRE : PABLO PICASSO, À UNE DÉPENDANCE D’UN DIEU VIRTUEL. ON PEUT SE DEMANDER : « ET SI ELLE N’AVAIT PAS RENCONTRÉ PICASSO ? », « ET SI ELLE N’AVAIT PAS ACCEPTÉ CETTE SITUATION TOXIQUE » ET « SI ELLE AVAIT EU LA FORCE DE LE QUITTER ? » QUE CE SERAIT-IL PASSÉ DANS SA VIE ? DANS SON OEUVRE ?
DANS LES ANNÉES 1980, DORA MAAR REPREND LA PHOTOGRAPHIE SANS CAMÉRA, RÉUTILISE SES NÉGATIFS DES ANNÉES 1930, LES GRATTE, LES RECOUVRE DE GOUACHE OU D’ENCRE. SA PHOTOGRAPHIE DEVIENT SUPPORT POUR SA PEINTURE. LA BOUCLE EST BOUCLÉE. L’ARTISTE « N’ABANDONNE PAS SA PHOTOGRAPAHIE », ELLE LA FAIT ÉVOLUER, LA TRANSFORME EN MÉDIUM. CERTAINES FEUILLES SORTENT DU LOT PAR LEUR FRAGILITÉ POINTILLISTE.
APRÈS SA COLLABORATION AVEC PABLO PICASSO POUR GUERNICA, DORA MAAR ARRÊTE LA PHOTOGRAPHIE, POURTANT SA GRANDE PASSION, POUR SE CONSACRER À LA PEINTURE. ELLE S’EST PLIÉE PAR CETTE DÉCISION AUX CONSEILS ET INSISTANCES DE PABLO PICASSO, QUI CONSIDÉRAIT LA PEINTURE COMME L’ART PAR EXCELLENCE. ELLE A ABANDONNÉ AINSI SON ART DE PRÉDILECTION ET TOUTES SES ACTIVITÉS PHOTOGRAPHIQUES, DANS LESQUELLES ELLE SE DISTINGUAIT ET EXCELLAIT. MAIS C’EST À PARTIR DE LA DOULOUREUSE SÉPARATION AVEC LUI ET JUSQU’À SA MORT QU’ELLE VA PEINDRE.
L’ŒUVRE PEINTE DE DORA MAAR RESTE MÉCONNUE JUSQU’À LA VENTE POSTHUME, ORGANISÉE EN 1998-1999, QUI FAIT DÉCOUVRIR AU PUBLIC ET AUX PROFESSIONNELS UNE PRODUCTION TRÈS PERSONNELLE QUI N’AVAIT JAMAIS QUITTÉ SON ATELIER. PAR LA SUITE LES PRIX DE SES OEUVRES VONT MONTER DE FAÇON EXPONENTIELLE. SI DORA MAAR N’EST PAS CONSIDÉRÉE AVEC ÉVIDENCE COMME UNE GRANDE ARTISTE DANS SA PRATIQUE, C’EST PROBABLEMENT QUE NOTRE ÉCRITURE DE L’HISTOIRE DE L’ART EST EMPREINTE D’UNE MYSOGINIE VIOLENTE. SI PABLO PICASSO N’EST PAS QU’UN BOURREAU INHUMAIN MAIS AUSSI UN GRAND ARTISTE DONT JAMAIS ON OUBLIE DE CITER LE NOM, ALORS DORA MAAR N’EST PAS QU’UNE FEMME QUI PLEURE, C’EST UNE ARTISTE, UNE FEMME À L’ENGAGEMENT POLITIQUE NÉCESSAIRE QUI, PAR SON INFLUENCE SUR LES HOMMES ET FEMMES DE SON TEMPS, À RÉUSSI À AMÉLIORER LA CONSCIENCE SOCIAL DE TOUS ET DE TOUTES. NOUS VIVONS ENCORE AUJOURD’HUI GRÂCE AUX BIENFAITS, CHANGEMENTS PARADIGMATIQUES ET SENSIBLES QUI ÉMANÈRENT D’ELLE AU TRAVERS DE L’INSPIRATION QUE D’AUTRES SE SONT ATTRIBUÉS.
LES DESSINS PRÉSENTÉS ICI POUR LA PREMIÈRE FOIS SONT LE TÉMOIGNAGE DE CE TRAVAIL QUOTIDIEN. QUE PENSEZ-VOUS DE DORA MAAR DESSINATRICE ?
SUITE À SA RUPTURE AVEC LE PEINTRE AU MILIEU DES ANNÉES 1945, DORA MAAR SOMBRE DANS UNE PROFONDE DÉPRESSION, ET SE RETROUVE INTERNÉE DANS UN ASILE PSYCHIATRIQUE. ELLE Y SUBIT DES TRAITEMENTS VIOLENTS, NOTAMMENT DES ÉLECTROCHOCS, POURTANT INTERDITS À L’ÉPOQUE ! ET A SUIVI UNE CURE PSYCHANALYTIQUE AVEC JACQUES LACAN. ELLE DEVIENT ALORS UNE CATHOLIQUE PRATIQUANTE ET, DURANT SES MESSES QUOTIDIENNES, REMPLIT SES CARNETS DE DESSINS DE VITRAUX. TOURNÉE VERS LA RELIGION CATHOLIQUE, VIVANT UNE EXPÉRIENCE QUASI MYSTIQUE QUI INFLUENCE SON ŒUVRE PICTURALE. ELLE PEINT CES ANNÉES D’APRÈS-GUERRE SI DOULOUREUSES DANS DES TONALITÉS CRÉPUSCULAIRES D’OÙ SURGISSENT QUELQUEFOIS DES ÉCLATS DE LUMIÈRE.
LE DESSIN REPRÉSENTANT PICASSO AVEC DES YEUX CREVÉS EST ÉVIDEMMENT SAISISSANT, COMME CE DESSIN RÉALISÉ DANS UN HÔTEL OÙ DORA MAAR SÉJOURNE AVEC PABLO PICASSO ET OÙ ELLE SE REPRÉSENTE ASSISE À UNE TABLE EN TRAIN DE SE TRANSFORMER LITTÉRALEMENT EN MEUBLE. ELLE PREND CONSCIENCE QU’ELLE A ÉTÉ UN OBJET.
« LES FEMMES SONT DES MACHINES À SOUFFRIR, DISAIT PICASSO. DORA POUR MOI A TOUJOURS ÉTÉ LA FEMME QUI PLEURE. ELLE A TOUJOURS ÉTÉ UN PERSONNAGE KAFKAÏEN. » EST-CE AINSI QUE VOUS PERCEVEZ DORA MAAR ?
PABLO PICASSO N’IGNORE RIEN DU TALENT DE SA MAÎTRESSE ET S’IL CONSIDÈRE TOUTES LES FEMMES COMME DES MACHINES À SOUFFRIR C’EST QUE LUI MÊME EST UNE MACHINE À FAIRE SOUFFRIR, COMME BEAUCOUP D’HOMME PARTICULIÈREMENT DE SON ÉPOQUE ( BIEN QUE CELA CONTINU ACTUELLEMENT ). VOLTAIRE A DIT “LA FEMME NE PEUT-ÊTRE QU’ÉPOUSE ET MÈRE, SI NON ELLE EST UN MONSTRE”. ON LA PLACE DANS LA FIGURE PERPÉTUELLE DE LA DISCRÉTION, DE LA MÈRE, DE LA GÉNITRICE, DE L’AMANTE, DE LA FEMME FRAGILE, DOUCE, RESTANT DANS L’OMBRE À PARLER PEU, BAS ET DOUCEMENT, DE MANIÈRE À SE FAIRE PEU ENTENDRE ET RESSEMBLER À UNE CRÉATURE FRAGILE LASSIVE, ENFANT, SOUMISE ÉTERNELLE , MUSE, IMAGE INERTE, MODÉLE D’ABANDON DE SOI « AU PROFIT DU BIEN COMMUN, DE L’AUTRE, DE L’HOMME »… ET C’EST INCROYABLE DE CONSTATER COMMENT CES STÉRÉOTYPES ET CES IDÉES SONT PÉRENNES AUJOURD’HUI, ET DE VOIR COMMENT LES CERTAINES FEMMES ENCORE ALIMENTENT CETTE IMAGE. D’AUTANT PLUS DANS UN PAYS QUI LAISSE LE CHOIX! ON VIT DANS UNE SOCIÉTÉ DOMINÉE PAR LA PENSÉE MASCULINE, QUI TEND À IMPOSER UN CERTAIN TYPE DE BEAUTÉ ET UNE ATTITUDE, UNE GESTIQUE DE FEMME, EN FONCTION DE SES DÉSIRS, DE VOIR EN ELLE, UNE MÈRE, ET D’ATTENDRE DE CELLE-CI UNE SOUMISSION LATENTE.
MALHEUREUSEMENT, CE TITRE, CETTE NOMINATION DE FEMMES QUI PLEURENT, DONNÉE AUX PORTRAITS DE DORA MAAR PEINT PAR PICASSO LUI A COLLÉ À LA PEAU TOUTE SA VIE, LA LIMITANT À L’IMAGE D’UNE FEMME CHOSIFIÉE ET DÉCONSTRUITE PAR LE GRAND MAÎTRE.
LES REPRÉSENTATIONS DU VISAGE DE DORA MAAR RÉVÈLENT LES SENTIMENTS DE CETTE DERNIÈRE VIS-À-VIS D’UN MONDE QUI S’AVANCE VERS LA GUERRE. IL EST SYMPTÔME D’UN SYSTÈME PATRIARCAL VIOLANT ET GUERROYANT. TOUS DEUX TRAVERSENT LA GUERRE, DANS LES APRÈS D’UNE PASSION À LA FOIS DÉVORANTE ET CASTRATRICE POUR DORA MAAR. IL LA QUITTERA EN 1945 POUR FRANÇOISE GILOT QU’IL PEINDRA, AU CONTRAIRE DE DORA MAAR, COMME UNE FLEUR LUMINEUSE ET SOLAIRE… FRANÇOISE GILOT EST LA SEULE FEMME QUI A EUT LE COURAGE DE LE QUITTER ET D’ÉCRIRE, DE DÉNONCER CES ACTIONS ET SON COMPORTEMENT VIS-À-VIS DES FEMMES QUI TRAVERSERENT LA VIE DE PICASSO FACE À ELLE. JE ME DEMANDE COMMENT LES AUTRES FEMMES ET EN PARTICULIER DORA MAAR ONT ACCEPTÉ SI LONGTEMPS D’ÊTRE MANIPULÉES, TOURMENTÉES, BLESSÉES PAR PICASSO SANS PARTIR. ILS/ELLES FORMAIENT DES COUPLES PATHOLOGIQUES MASO/SADO.
VOTRE EXPOSITION AU MUSÉE PICASSO S’INTITULAIT « LES FEMMES QUI PLEURENT SONT EN COLÈRE ». DANS LA COLLECTION EXPOSÉE ICI, ON DÉCOUVRE POUR LA PREMIÈRE FOIS UN PORTRAIT DE PICASSO DESSINÉ PAR DORA MAAR AUQUEL ELLE A CREVÉ UN ŒIL AU POINT DE PERCER LE PAPIER. C’EST DE LA COLÈRE OU DE LA SOUFFRANCE ?
CE DESSIN DE PICASSO PAR DORA MAAR, EST DE LA SUBLIMATION AU SENS RILKÉEN DU TERME, DE LA GUÉRISON, DE LA JUSTICE VISUELLE POUR LE FUTUR. C’EST UN INDICE QUI TÉMOIGNE D’UNE COLÈRE NON CONTENUE, ENFIN LIBÉRÉE, NON JUGÉE À L’ÉPOQUE. C’EST UNE REVANCHE DE L’INCONSCIENT ET C’EST UNE CONSCIENTISATION DE SON REFUS À VIVRE UNE TELLE SITUATION. BIEN PLUS CONSCIENTE DE LA MISÈRE DE L’HÉTÉROSEXUALITÉ, IL VA SANS DIRE QUE DORA MAAR DESSINE ICI LES TRAITS DE SES PLUS GRANDES PULSIONS VITALES. C’EST AVANT TOUT POUR CETTE SUBLIMATION SOCIALE QUE JE QUESTIONNE LA POSITION DE LA FEMME DANS LA SPHÈRE ARTISTIQUE CONTEMPORAINE ET INTERROGE LE STATUT DU CORPS VIA TOUTES LES PRESSIONS CULTURELLES, TRADITIONNELLES POLITIQUES ET RELIGIEUSES QUI S’IMPRIMENT PARTICULIÈREMENT DANS LES CORPS DES FEMMES.
JE ME SUIS INTÉRESSÉE À CES FEMMES QUI ONT ÉTÉ DES MODÈLES, DES INSPIRATRICES, DES MUSES, DES MODÈLES, DES FEMMES DE L’OMBRE DONC RESSEMBLANT À DES OBJETS. EN REPRENANT LES TRAITS EN LARMES DE DORA MAAR OU DE JACQUELINE ROQUE PEINTES PAR PABLO PICASSO ET EN Y PLAÇANT MES PROPRES YEUX EXORBITÉS, MON NEZ DE TRAVERS, MES OREILLES À L’ENVERS, MA BOUCHE EN TRAIN DE HURLER MONTRANT LA DENTITION PRÊTE À MORDRE. J’AI VOULU QU’ON VOIT LE DÉBUT DE LEUR RÉVOLTE, LE DÉBUT DE LEUR ÉMANCIPATION. J’INSÈRE DES FRAGMENTS DE MON VISAGE DONT MA BOUCHE QUI HURLE POUR QUE LA COLÈRE S’EXPRIME DANS L’OEUVRE.
CES OEUVRES JE NE LES AI PAS CRÉES POUR FAIRE LE PROCÈS DE PABLO PICASSO ET/OU CELUI DE DORA MAAR, PUISQU’ILS NE PEUVENT PLUS SE DÉFENDRE.
J’AI VOULU FAIRE PASSER CETTE FEMME DU STATUT D’OBJET À SUJET. MES CRÉATIONS, TOUTES POLITIQUES ET FÉMINISTES, SE FONDENT SUR UNE RECHERCHE VISUELLE DE VISAGES D’HORREUR, DE PEUR ET DE GRANDEUR. PABLO PICASSO OBJECTISE DORA MAAR. JE RELIS SON ŒUVRE, JE LA QUESTIONNE POUR REMETTRE LA FEMME-SUJET AU CENTRE. IL S’AGIT D’INTERPELLER, D’INCITER LES FEMMES D’AUJOURD’HUI À NE PLUS SUBIR, À SE LIBÉRER, À S’ÉMANCIPER, À SE SENTIR LÉGITIMES, UNE FOIS POUR TOUTE, À SORTIR DE L’OMBRE EN SE FAISANT ENTENDRE HAUT ET FORT!
JOHN RICHARDSON, BIOGRAPHE DE PICASSO CONSIDÉRAIT QUE LA RELATION PICASSO DORA MAAR ÉTAIT AVANT TOUT SADO MASOCHISTE. ETES-VOUS D’ACCORD AVEC LUI ?
« VOUS NE COMPRENDREZ RIEN À DORA MAAR SI VOUS OUBLIEZ QU’ELLE ÉTAIT AVANT TOUT MASOCHISTE », GLISSE JOHN RICHARDSON, GRAND BIOGRAPHE DE PABLO PICASSO (MORT EN MARS 2018) ET QUI L’A CONNUE JUSQU’À LA FIN. LE BIOGRAPHE DE PICASSO, NE PERÇOIT SEMBLE-T’IL ÉMANER QUE DU MYSTÈRE DE CETTE FIGURE FORTE. POUVONS-NOUS NOUS DEMANDER SI CET HOMME EST BIEN PLACÉ POUR INFLUENCER LE DÉBAT ET L’IMAGE QUE NOUS POUVIONS AVOIR DU COUPLE ? DÉFINIR DORA MAAR COMME MASOCHISTE NE RÈGLE PAS LA MONSTRUOSITÉ ÉTHIQUE QUE REPRÉSENTE PABLO PICASSO
LES MUSES SURRÉALISTES VONT SOUVENT METTRE EN SCÈNE LEURS RENCONTRES AVEC LES MAÎTRES, MANIPULER L’INTÉRÊT QU’ELLES PROVOQUENT. CONSCIENTES DES RAPPORTS POSSIBLES AVEC CES HOMMES, ELLES JOUENT DE LEURS SÉDUCTIONS POUR ATTIRER LEUR L’ATTENTION, POUR S’IMPOSER COMME DES FIGURES QUI SUBJUGUENT. IL VAUT PEUT-ÊTRE MIEUX, À L’ÉPOQUE, CETTE POSITION QU’AUCUNE POSITION. ELLES SONT DANS LA MANIPULATION. LES CORPS ONT SOUFFERT PENDANT DES MILLÉNAIRES SANS QU’ON AIT UN MÉDICAMENT POUR ARRÊTER LA DOULEUR. POUR MOI, LA DOULEUR EST ANACHRONIQUE ET LA SOUFFRANCE N’EST PAS OBLIGATOIRE, ELLE EST EN OPTION. BIEN SÛR JE SUIS CONTRE CETTE OPTION! JE SUIS POUR LE CORPS PLAISIR, JE SUIS PAR EXEMPLE POUR LA PÉRIDURALE ET CONTRE LE “TU ACCOUCHERAS DANS LA DOULEUR” MAIS CERTAINS ARTISTES AVEC CETTE OPTION FONT DES ŒUVRES INTÉRESSANTES. CE N’EST PAS MA DÉMARCHE! C’EST CE QUE J’AI ESSAYÉ DE DIRE DANS MON MANIFESTE DE “L’ART CHARNEL”.
EN FEMME DE SON ÉPOQUE, DORA MAAR N’A PROBABLEMENT D’AUTRE CHOIX QU’UNE VIE DE LUTE SOURDE ET DE COMPROMIS MALGRÉ SA RÉUSSITE INITIALE DANS UN MONDE D’HOMMES.
QUELLE EST L’INFLUENCE DE PICASSO SUR ELLE ? OU L’INFLUENCE DE SA RELATION AVEC PICASSO ? ET LORSQUE LA MUSE EST UNE ARTISTE, EST-ELLE CONDAMNÉE À RESTER À L’OMBRE DU GÉNIE ?
POUR CE QUI EN EST DE L’OMBRE, C’EST AVEC CE GENRE DE QUESTIONS QUE L’ON CONTINUE À EN DOUTER.
LE COUPLE S’INFLUENCE DONC MAIS SE RETROUVE EN EUX-MÊMES ÉGALEMENT. ELLE PASSE POUR ÊTRE UNE FORTE PERSONNALITÉ ENCLINE, D’APRÈS BRASSAÏ, «AUX ORAGES ET AUX ÉCLATS», MAIS AUSSI UNE FEMME «BIEN RACÉE, UNE QUI N’A PAS FROID AUX YEUX» SELON DES PROPOS RAPPORTÉS DE PABLO PICASSO.
TANDIS QU’ELLE L’IMMORTALISE EN TRAIN DE PEINDRE, PICASSO LUI DEMANDE UN INVESTISSEMENT TOTAL. QU’ELLE ENTRE ELLE-MÊME DANS SON PROCESSUS CRÉATEUR, QU’ELLE EN DEVINE LES ÉLANS ET LES HÉSITATIONS, QU’ELLE EN DESSINE AVEC LUI LES LIGNES SECRÈTES ! C’EST EN CE SENS OÙ L’INFLUENCE DE PABLO PICASSO VA CONSTRUIRE UNE FORME D’ALIÉNATION DE DORA MAAR, ELLE NE PEUT VIVRE AVEC LUI SANS SE MÊLER AUX FEUX QUI LE POSSÈDENT. MAIS DORA MAAR N’EST PAS PABLO PICASSO ET C’EST ELLE QUI RESTE TOUJOURS SUR LA ROUTE, SEULE. CE DIALOGUE CRÉATIF DU PEINTRE ET DE LA PHOTOGRAPHE CONSTITUE POUR L’IMAGE DE PICASSO UN GUIDE CHRONOLOGIQUE ET THÉMATIQUE PERMETTANT DE METTRE EN LUMIÈRE TANT LES RÉVOLUTIONS PLASTIQUES DE L’ART PICASSIEN QUE LES GRANDS ÉVÉNEMENTS MARQUANT CE TOURNANT DU SIÈCLE. SON INFLUENCE SUR L’HISTORISATION DE L’OEUVRE DE PICASSO EST MAJEUR. BIEN PLUS QUE L’INFLUENCE CRÉATRICE QU’IL POURRA AVOIR SUR ELLE. ELLE SE PLACE À SES CÔTÉS POUR MARQUER L’HISTOIRE, SANS AVOIR LE BESOIN D’Y PLACER SON PROPRE NOM. HÉLÀS !
PENSEZ-VOUS QUE LES TEMPS ONT CHANGÉ ?
JE SUIS D’AILLEURS EN TRAIN DE TRAVAILLER SUR UNE DEUXIÈME VERSION DE “L’ORIGINE DE LA GUERRE” 30 ANS APRÈS LA PREMIÈRE. EN 1989 J’AI INTERROGÉ UNE PEINTURE QUI POUR MOI EST LA PLUS MONSTRUEUSE DE L’HISTOIRE DE L’ART, “L’ORIGINE DU MONDE” DE COURBET. DANS CETTE OEUVRE, IL MUTILE LA FEMME, LUI COUPE LES JAMBES, LES BRAS, LA TÊTE TEL UN SERIAL KILLER SADIQUE, LUI ENLÈVE SON IDENTITÉ EN LA RÉDUISANT À SON RÔLE DE GÉNITRICE, ELLE NE DEVIENT PLUS QU’UN VENTRE, PLUS QU’UN SEXE PROBABLEMENT TEL QUE LE COMMENDITAIRE L’A VOULU ET COURBET NE S’Y EST PAS OPPOSÉ. J’AI VOULU VOIR CE QU’IL SE PASSE EN FAISANT LA MÊME AU CHOSE À L’AUTRE PENDANT DE L’HUMANITÉ. J’AI MIS UN HOMME À LA PLACE DE LA FEMME À QUI J’AI COUPÉ LA TÊTE, LES BRAS ET LES JAMBES. CET HOMME AVAIT UNE QUEUE DE TAILLE MOYENNE MAIS PAS N’IMPORTE QUELLE QUEUE, C’EST LA QUEUE DU DIABLE, CELLE DE JEAN-CHRISTOPHE BOUVET QUI JOUAIT SATAN AVEC GÉRARD DEPARDIEU DANS SOUS LE SOLEIL DE SATAN. CETTE RÉPONSE FÉMINISTE QUESTIONNE LE RÔLE DE L’HOMME ET DE LA FEMME DANS NOTRE SOCIÉTÉ ET LEURS REPRÉSENTATIONS. LA SITUATION S’EST UN PEU AMÉLIORÉE, JE SUIS AINSI TRÈS CONTENTE QU’UNE FEMME SOIT NOMMÉE PREMIÈRE MINISTRE, MÊME S’IL Y A EU DÉJÀ ÉDITH CRESSON QUI EN AVAIT PRIS À L’ÉPOQUE PLEIN LA FIGURE, PARCE QU’ELLE ÉTAIT FEMME. MAIS PAS ASSEZ. FINALEMENT, C’EST TOUJOURS PAREIL : ON TROUVE TRÈS PEU DE FEMMES DANS LE GRAND MARCHÉ OU DANS LES CLASSEMENTS D’ARTISTES. LE SYSTÈME ARTISTIQUE EST LE REFLET DE LA SOCIÉTÉ ET NE SOUTIENT PAS LES FEMMES. NOUS SAVONS CE QUE LES GUERILLA GIRLS DISENT “ÊTRE UNE FEMME ARTISTE EST FANTASTIQUE ! PARCE QUE NOTRE CARRIÈRE PEUT EXPLOSER DÈS 80 ANS !” NOUS POUVONS CONSTATER QUE LES ARTISTES MASCULINS VENDENT LE PLUS ET LE PLUS CHER. IL Y A TRÈS PEU DE FEMMES AU SOMMET DU MARCHÉ INTERNATIONAL, À L’EXCEPTION DE QUELQUES AMÉRICAINES. DE PLUS, ON PENSE RÉGLER LE PROBLÈME EN METTANT DANS DES POSTES DE DÉCIDEUSES DES FEMMES MAIS BEAUCOUP D’ENTRE ELLES EMPÊCHENT D’AUTRES FEMMES DE PASSER. ON NOUS A APPRIS À NOUS DÉTESTER LES UNES LES AUTRES ET À ÊTRE CONCURRENTES. COMME JE LE DIS DANS MON AUTOBIOGRAPHIE, ÊTRE UNE FEMME EST UNE CALAMITÉ TANT BIOLOGIQUE QUE SOCIÉTALE. DÈS QUE LE FÉMINISME FAIT UN PAS, IL Y A TOUJOURS UN RETOUR DE MANIVELLE ÉNORME. J’AIME CITER CETTE PHRASE DE NIETZSCHE : « NOUS AVONS L’ART POUR NE PAS MOURIR DE LA VÉRITÉ ». DORA MAAR AVAIT SON ART.
DORA MAAR SE DÉFENDAIT D’ÊTRE FÉMINISTE. ELLE APPARAIT POURTANT AUJOURD’HUI COMME UNE FIGURE DU FÉMINISME, OU DU MOINS UN SYMBOLE DU COMBAT CONTRE LES VIOLENCES ET LES BRIMADES FAITES AUX FEMMES. COMMENT L’EXPLIQUEZ VOUS ?
POUR MA PART, J’AI ESSAYÉ D’ÊTRE UNE FEMME, UNE VRAIE, TELLE QU’ELLE NOUS AI DÉSIGNÉE, MAIS JE N’Y SUIS JAMAIS PARVENU. JE SUIS « UN » FEMME ET « UNE » HOMME, JE FAIS UN TRANSSEXUALISME FEMME – FEMME. TOUT COMME MES PRÉDÉCESSEUSES FÉMINISTES, J’AI DÉCIDÉ DE FAIRE DES CRITIQUES, DE MES OPPRESSIONS MES FORCES, D’ASSUMER CETTE FIGURE DE MONSTRE, DE LA REVENDIQUER ET D’EN FAIRE LE SYMBOLE DE MA PRATIQUE, DE MA LIBÉRATION, DE MES ÉMANCIPATIONS. “TENTATIVE DE SORTIR DU CADRE” ET “ORLAN ACCOUCHE D’ELLE M’AIME” SONT DEUX DE MES OEUVRES QUI LE MONTRENT. ORLAN LE 15 FÉVRIER 200000000000000023 |
ORLAN, “Beauty and Monstruosity“, Routledge
POUR PARAPHRASER PAUL B. PRECIADO, QUE J’APPRÉCIE BEAUCOUP ET POUR LUI RENDRE HOMMAGE ET FEMMAGE, JE DIRAIS “C’EST UN.E MONSTRE QUI VOUS PARLE”. UN.E MONSTRE CAR JE SUIS UNE FEMME, PIRE UNE FEMME FÉMINISTE, J’AI TOUJOURS TENTE DE SORTIR DU CADRE, DE CASSER LES BARREAUX DE LA CAGE, J’AI DEUX BOSSES SUR LES TEMPES, JE SUIS BI, ET SAPIOSEXUELLE, ET CHAPEAUSEXUELLE, ET SLOWSEXUELLE ET ARTSEXUELLE. JE SUIS ORLAN, ENTRE AUTRES, ET DANS LA MESURE DU POSSIBLE. ET MON NOM S’ÉCRIT CHAQUE LETTRE EN CAPITALE CAR JE NE VEUX PAS QU’ON ME FASSE RENTRER DANS LES RANGS, JE NE VEUX PAS QU’ON ME FASSE RENTRER DANS LA LIGNE. MON NOM PARLE HAUT ET FORT MAIS LES JOURNAUX L’ÉCRIVENT TOUJOURS EN MINUSCULE, LES MÉDIAS TENTENT DE M’ÉCRASER. JE SUIS UNE ARTISTE QUI N’EST PAS ASSUJETTIE À UN MATÉRIAU, À UNE PRATIQUE ARTISTIQUE, À UNE MANIÈRE DE DIRE, À UNE TECHNIQUE OU À UNE TECHNOLOGIE QU’ELLE SOIT ANCIENNE OU NOUVELLE. IL EST DIFFICILE DE ME METTRE DANS UNE CASE, DANS UN TIROIR : JE SUIS UN.E MONSTRE ! J’ESSAIE DE DIRE DES CHOSES IMPORTANTES POUR MON ÉPOQUE EN INTERROGEANT DES PHÉNOMÈNES DE SOCIÉTÉ TOUJOURS AVEC UNE DISTANCE CRITIQUE QUI S’IMPOSE. JE TRAVAILLE SUR LE STATUT DU CORPS DANS LA SOCIÉTÉ, VIA TOUTES LES PRESSIONS ET OPPRESSIONS : CULTURELLES, TRADITIONNELLES, POLITIQUES ET RELIGIEUSES QUI S’IMPRIMENT DANS LES CORPS ET EN PARTICULIER DANS LES CORPS DES FEMMES. JE DÉNONCE LES TRAVERS DES RELIGIONS, DES TRADITIONS. TOUT MON TRAVAIL INTERROGE LES PRESSIONS SOCIALES, POLITIQUES, RELIGIEUSES, CULTURELLES, IDÉOLOGIQUES ET ESTHÉTIQUES QUI S’INSCRIVENT DANS LES CORPS. AUJOURD’HUI COMME HIER, JE N’AI AUCUNE INTENTION DE LES SUBIR ! J’AIME LA CHAIR, JE FAIS ATTENTION À MA SANTÉ, MAIS JE N’AI AUCUNE INTENTION DE RESSEMBLER À L’IMAGE DES FEMMES SQUELETTIQUES DES PODIUMS DE MODE ET DES MAGAZINES. J’AI COMMENCÉ MON ŒUVRE PAR LA SCULPTURE, LE DESSIN ET LA PEINTURE PUIS J’AI CONSIDÉRÉ LE CORPS COMME UN MATÉRIAU PARMI LES MATÉRIAUX CAR JE SUIS UN CORPS RIEN QU’UN CORPS, UN CORPS TOUT ENTIER ET C’EST MON CORPS QUI PENSE. DANS LA VIE, ON N’A PAS QU’UN CORPS, ON A DES CORPS ! TOUS DIFFÉRENTS LES UNS DES AUTRES DURANT UNE VIE. JE NE DIS PAS JE “SUIS” MAIS JE “SOMMES”! JE NE CROIS PAS EN L’ÂME. JE DIS “CECI EST MON CORPS, CECI EST MON LOGICIEL”. JE SUIS UN.E MONSTRE MONSTRUEUSE SANS ÂME ! BEAUCOUP ME METTENT DANS LA CATÉGORIE “ARTISTE DE LA PERFORMANCE” MAIS JE SUIS UNE ARTISTE QUI UTILISE TANTO L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, LA ROBOTIQUE, LA RÉALITÉ AUGMENTÉE, LES NFT, LA SCULPTURE EN MARBRE DE CARRARE, OU EN RÉSINE, OU EN 3D PRINTING, LA VIDÉO, LA PHOTO, LA CULTURE DE MES CELLULES, LA CULTURE DE LA FLORE BUCCALE, INTESTINALE ET VAGINALE, LA CHIRURGIE PLASTIQUE, LA PEINTURE, LE DESSIN, LES INSTALLATIONS, LA MUSIQUE, L’ÉCRITURE… CES DIFFÉRENTES MATÉRIALITÉS SONT LA CHAIR MAIS AVANT TOUT JE TRAVAILLE SUR LE CONCEPT DE L’ŒUVRE QUI EST LA COLONNE VERTÉBRALE DE MON OEUVRE. JE SUIS UNE ARTISTE CONCEPTUELLE QUI AIME LA CHAIR, LA FORME, LES COULEURS… J’AI RÉALISÉ EN 1965 UNE ŒUVRE OÙ NUE JE FAISAIS MINE DE SORTIR D’UN GROS CADRE DORÉ. CETTE IMAGE IMMORTALISE LA VOLONTÉ SANS FAILLE, QUI ME TIENT ENCORE AUJOURD’HUI. TOUTE MA VIE J’AI TENTÉ DE SORTIR DU CADRE. LE CADRE REPRÉSENTE LES FORMATAGES, LES PRÊTS À PENSER, LES ACQUIS DE L’ENFANCE ET DE L’ENVIRONNEMENT. C’EST LA DISTANCE QUE L’ON PREND AVEC CE CADRE ET CE QU’ON EN FAIT QUI EST IMPORTANTE. IL FAUT LE DÉTECTER, SAVOIR QU’IL EXISTE POUR POUVOIR LE DÉPASSER, EN JOUER, S’EN ÉMANCIPER. PAUL B. PRECIADO PRÉSENTE CE QUE JE NOMME CADRE, LA CAGE. SELON MOI, ON PEUT SORTIR DU CADRE DES LORSQUE L’ON PREND CONSCIENCE ALORS QUE DE LA CAGE IL EST DIFFICILE DE SORTIR DE LA CAGE. IL FAUT EN SCIER LES BARREAUX. TOUTE MA VIE J’AI TENTÉ DE FAIRE BOUGER LES BARREAUX DE LA CAGE, ET DE CASSER LES MURS DE GLACE ENTRE LE SEXES, ENTRE LES PRATIQUES ARTISTES, ENTRE LES COULEURS DE PEAUX, ENTRE LES CLASSES SOCIALES, ENTRE LES GÉNÉRATIONS…SELON ARISTOTE, LE MONSTRE “CONTRARIE L’ORDRE SOCIAL”. JE SUIS UN.E MONSTRE TRÈS CONTRARIANTE. COMME TOUT LE MONDE SAIT, LE MOT MONSTRE TIRE SES ORIGINES D’UNE AMBIGUÏTÉ LATINE “MONSTRARE”, DE CE QUI EST MONTRÉ, POINTÉ DU DOIGT ET “MONSTRUM” QUI VEUT DIRE “ AVERTISSEMENT CÉLESTE, PRODIGE”. CE DOUBLE MOUVEMENT RHÉTORIQUE, À LA FOIS DE CELUI QUI EST MONTRÉ ET DE CELUI QUI MONTRE NOUS POUSSE À ENVISAGER LE MONSTRE HORS D’UN POINT DE VU MANICHÉEN QUI RÉGIS LES MYTHES ET LES CONTES D’HIER ET DE DEMAIN. ÉTYMOLOGIQUEMENT, AUCUN SENS PÉJORATIF OU DIABOLIQUE EST RATTACHÉ AU MONSTRE. NÉANMOINS, SI L’ON SE CONCENTRE SUR LE MONSTRE TEL QU’IL EST CONCEPTUALISÉ DANS L’INCONSCIENT COLLECTIF, C’EST UN ÊTRE VIVANT OU FANTASTIQUE EFFRAYANT, D’UNE GRANDE LAIDEUR, QUI SUSCITE L’HORREUR PAR SES ATTRAITS PHYSIQUES ET/OU PSYCHIQUES. LE MONSTRE S’AVÈRE POUR TOUS CELUI QUI DÉFIE LA NATURE, L’ORDRE DES CHOSES. CETTE NOTION DE DÉVIANCE DE LA NORME EST PARFAITEMENT LISIBLE DANS MON ŒUVRE MANIFESTE “ORLAN ACCOUCHE D’ELLE-M’AIME”. EN 1964, JE DÉCIDE DE ME CRÉER UNE NOUVELLE IDENTITÉ, POUR M’APPROPRIER MON EXISTENCE ET M’ÉMANCIPER DU MASQUE DE L’INNÉ. EN FAISANT LE CHOIX DE ROMPRE AVEC LA NORME JE M’INSCRIS DANS UNE TRANSGRESSION DES CONVENTIONS…JE DEVIENS, DÈS LORS, UNE.E MONSTRE. IL A ÉTÉ DIT QUE LA FEMME ÉTAIT LE MONSTRE DE L’HOMME. S’IL EST INACEPTABLE QUE LA FEMME SOIT UNIQUEMENT GÉNITRICE, QU’ELLE SOIT RÉDUITE À ÊTRE L’ORIGINE DU MONDE, IL N’Y A AUCUN DOUTE QUE L’HOMME SOIT “L’ORIGINE DE LA GUERRE”. JE SUIS D’AILLEURS EN TRAIN DE TRAVAILLER SUR UNE DEUXIÈME VERSION DE “L’ORIGINE DE LA GUERRE” 30 ANS APRÈS LA PREMIÈRE. EN 1989 J’AI RÉPONDU À UNE PEINTURE QUI POUR MOI EST LA PLUS MONSTRUEUSE DE L’HISTOIRE DE L’ART, C’EST-À-DIRE “L’ORIGINE DU MONDE”. COURBET QUI MUTILE LA FEMME, LUI COUPE LES JAMBES, LES BRAS, LA TÊTE LUI ENLÈVE SON IDENTITÉ EN LA RÉDUISANT À SON RÔLE DE GÉNITRICE, ELLE NE DEVIENT PLUS QU’UN VENTRE, PLUS QU’UN SEXE PROBABLEMENT TEL QUE LE COMMENDITAIRE L’A VOULU ET COURBET NE S’Y EST PAS OPPOSÉ. J’AI VOULU VOIR CE QU’IL SE PASSE EN FAISANT LA MÊME AU CHOSE À L’AUTRE PENDANT DE L’HUMANITÉ. JE PRÉSENTE UNE QUEUE DE TAILLE MOYENNE MAIS, EST LA QUEUE DU DIABLE, CELLE DE JEAN-CHRISTOPHE BOUVET QUI JOUAIT SATAN AVEC GÉRARD DEPARDIEU DANS SOUS LE SOLEIL DE SATAN. CETTE RÉPONSE FÉMINISTE QUESTIONNE LE RÔLE DE L’HOMME ET DE LA FEMME DANS NOTRE SOCIÉTÉ ET LEURS REPRÉSENTATIONS. DE LA MÊME MANIÈRE, LE BAROQUE A ÉTÉ DIT LE MONSTRE DU CLASSIQUE. JE ME SUIS BEAUCOUP INTÉRESSÉE AU BAROQUE POUR COMPRENDRE CE QU’ON DÉSIGNAIT COMME ÉTANT MONSTRUEUX DANS CE MOUVEMENT, ET DONC INACCEPTABLE. LA PENSÉE PATRIARCALE MET LA FEMME HORS CHAMPS DE LA SÉDUCTION ET DE LA SEXUALITÉ DÈS 50 VOIR 60 ANS. ÊTRE UNE FEMME EST UNE CALAMITÉ TANT BIOLOGIQUE QUE SOCIÉTALE. J’AI ÉCRIS PLUSIEURS PAGES DANS MON AUTO-BIOGRAPHIE SUR CE SUJET ET JE RÉALISE DÉSORMAIS QUE J’AI OMIS NOMBRE D’EXEMPLES. DANS LES FONCTIONS DÉVORANTES OU PÉNÉTRANTES DES MONSTRES, LA MÉTAPHORE SEXUELLE EST TRÈS PRÉSENTE : LES PIEUVRES DE LA LITTÉRATURE (HOMÈRE, VICTOR HUGO, JULES VERNE) SONT TERRIFIANTES PARCE QU’ELLES SUCENT, VAMPIRISENT LE HÉROS TOUT EN LE MENAÇANT DE TENTACULES INDISCUTABLEMENT PHALLIQUES. LES MONSTRES DÉVORANTS SONT PAR NATURE CASTRATEURS, TOUT PARTICULIÈREMENT LORSQU’IL S’AGIT DE MONSTRES FÉMININS, TELLES LES SIRÈNES QUI SÉDUISENT ET DÉVORENT LES MARINS EN MAL DE FEMMES ET SYMBOLISENT LA PEUR DU « VAGIN DENTÉ ». N’OUBLIONS PAS QU’À LA VUE DE LA VULVE MÊME LE DIABLE S’ENFUIT. DANS LES ANNÉES 70, J’AI RÉALISÉ UN MASQUE AVEC UNE PHOTO NOIR ET BLANC DE MA VULVE QUE J’AI UTILISÉ DANS DIFFÉRENTS CONTEXTES SOUS DIVERSES FORMES (VIDÉO, PERFORMANCES, SLOW…). C’EST TRÈS AMUSANT DE CONSTATER QUE LES ALGORYTHMES D’INSTAGRAM NE SAVENT PAS DÉTECTER UNE VULVE SUR UN VISAGE DONC JE NE SUIS PAS CENSURÉE LORSQUE JE LA MONTRE (POURVU QUE ÇA DURE). LE MONSTRE OUVRE DONC UN CHAMP INFINI D’HYPOTHÈSES SEXUELLES, AUSSI PARCE QU’IL INCARNE TOUJOURS ET D’ABORD L’EXCÈS, LA VITALITÉ, L’INTERDIT, LA SAUVAGERIE PROSCRITE PAR LA SOCIÉTÉ ET, VIA LE CHIMÉRISME, LA CONFUSION, PROSCRITE DANS LE CONCEPT CIVILISATEUR QUE NOUS AVONS HÉRITÉ DES GRECS ET DES ROMAINS : HERMAPHRODITISME, PRATIQUES INAVOUABLES, FUSION D’ATTRIBUTS MASCULINS ET FÉMININS QUI INVITENT AU MÉLANGES DES CORPS. LES FEMMES, QUI DÉNONCENT L’EXCLUSION POLITIQUE DONT ELLES SONT L’OBJET, SONT PERÇUES COMME L’INCARNATION DE CETTE MENACE. ELLES VIENDRAIENT REMETTRE EN CAUSE « L’ORDRE DE LA NATURE » SUR LEQUEL SE FONDE LA SOCIÉTÉ « RÉGÉNÉRÉE ». POUR CETTE RAISON, ELLES SONT ACCUSÉES D’ÊTRE DES « VIRAGOS », DES « MONSTRES » SUR LE PLAN PHYSIQUE ET MORAL, DES « ÊTRES MI-HOMMES MI-FEMMES ». FACE À CETTE ENTREPRISE DE STIGMATISATION, LES PIONNIÈRES DU COMBAT POUR L’ÉGALITÉ DES SEXES ÉLABORENT DES STRATÉGIES. OLYMPE DE GOUGES TENTE AINSI UN RETOURNEMENT DU STIGMATE. PEU DE TEMPS AVANT SA MISE À MORT SUR LA GUILLOTINE, ELLE ÉCRIT : « JE SUIS UN ANIMAL SANS PAREIL, JE NE SUIS NI HOMME, NI FEMME. J’AI TOUT LE COURAGE DE L’UN, ET QUELQUEFOIS LES FAIBLESSES DE L’AUTRE ». POUR MA PART, J’AI ESSAYÉ D’ÊTRE UNE FEMME, UNE VRAIE, TELLE QU’ELLE NOUS AI DÉSIGNÉE, TOUT EN DISANT QUE JE SUIS « UN » FEMME ET « UNE » HOMME ET QUE JE FAIS UN TRANSSEXUALISME FEMME – FEMME. JE ME SUIS BATTUE AVEC LE POISON DE TOUS LES STÉRÉOTYPES FÉMININS QU’ON DÉSIGNE COMME ÉTANT LA FEMME À ÊTRE : LA FEMME INTÉGRÉE SOCIALEMENT ET RELIGIEUSEMENT. DANS UN PREMIER TEMPS J’AI TELLEMENT INGÉRÉ DE CES POISONS QUE J’AI VOMI CE QUI M’A SAUVÉ! VOLTAIRE A DIT “LA FEMME NE PEUT-ÊTRE QU’ÉPOUSE ET MÈRE, SI NON ELLE EST UN MONSTRE”. ON LA PLACE DANS LA FIGURE PERPÉTUELLE DE LA DISCRÉTION, DE LA MÈRE, DE LA GÉNITRICE, DE L’AMANTE, DE LA FEMME FRAGILE, DOUCE, RESTANT DANS L’OMBRE À PARLER PEU, BAS ET DOUCEMENT, DE MANIÈRE À SE FAIRE PEU ENTENDRE ET RESSEMBLER À UNE CRÉATURE FRAGILE LASSIVE, ENFANT, SOUMISE ÉTERNELLE , MUSE, IMAGE INERTE, MODÉLE D’ABANDON DE SOI « AU PROFIT DU BIEN COMMUN, DE L’AUTRE, DE L’HOMME »… ET C’EST INCROYABLE DE CONSTATER COMMENT CES STÉRÉOTYPES ET CES IDÉES SONT PÉRENNES AUJOURD’HUI, ET DE VOIR COMMENT LES CERTAINES FEMMES ENCORE ALIMENTENT CETTE IMAGE. D’AUTANT PLUS DANS UN PAYS QUI LAISSE LE CHOIX! ON VIT DANS UNE SOCIÉTÉ DOMINÉE PAR LA PENSÉE MASCULINE, QUI TEND À IMPOSER UN CERTAIN TYPE DE BEAUTÉ ET UNE ATTITUDE, UNE GESTIQUE DE FEMME, EN FONCTION DE SES DÉSIRS, DE VOIR EN ELLE, UNE MÈRE, ET D’ATTENDRE DE CELLE-CI UNE SOUMISSION LATENTE. MAIS 50 ANS SONT PASSE DEPUIS LE BAISER DE L’ARTISTE ET NOUS SOMMES DÉSORMAIS, JE L’ESPÈRE, POUR LA MAJORITÉ CONSCIENTES TELLES CAROLEE SCHNEEMANN, MARINA ABRAMOVIC, MONA CHOBLET, CINDY SHERMAN, GHADA AMER, SUZY LAKE, JUDITH BUTLER, CAROLE GILLIGAN, DONA HARAWAY, FRANCOISE D’EAUBONNE, MARIA BUCUR, STARHAWK, VIRGINIE DESPENTES, SILVIA FEDERICI, ISABELLE ALPHONSI, OLIVIA GAZALE, BARBARA KRUGER, JENNY HOLZER, KIMBERLE CRENSHAW, MONIQUE WITTIG, LES INSOU-MUSE, ANNIE ERNAUX, ET BIEN D’AUTRES … J’AI JUSTEMENT TRAVAILLÉ SUR LA FEMME SAINTE ET LA FEMME CATIN EN 1977 AVEC LA BAISER DE L’ARTISTE. CETTE ŒUVRE EST AVANT TOUT CRÉER SOUS FORME D’UNE GRANDE SCULPTURE. IL Y AVAIT D’UN COTÉ : MON EFFIGIE, UNE PHOTO EN NOIR ET BLANC DE MOI GRANDEUR NATURE, DÉGUISÉE ET DRAPÉE EN MADONE QUI ILLUSTRE UN TEXTE QUE J’AI ÉCRIS “FACE À UNE SOCIÉTÉ DE MÈRE ET DE MARCHANT”. J’INCARNAIS LA SAINTE, LA MÈRE, LA FEMME DIGNE ET RESPECTABLE, J’ÉTAIS LA “BELLE”. IL ÉTAIT POSSIBLE POUR 5 FRANCS DE METTRE DES CIERGES À SAINTE-ORLAN. DE L’AUTRE CÔTÉ, IL Y AVAIT UNE PHOTOGRAPHIE GRANDEUR NATURE COLLÉE SUR BOIS ET DÉTOURÉE REPRÉSENTANT MON BUSTE DONT UN SEIN QUI CLIGNOTE AVEC UNE LUMIÈRE ROUGE, AINSI QU’UNE FLÈCHE AVEC UNE INDICATION “5 FRANCS” POUR DÉSIGNER LA FENTE OÙ L’ON POUVAIT VOIR LA PIÈCE DE 5 FRANCS TOMBER DANS UN OESOPHAGE EN PLASTIQUE TRANSPARENT. CETTE PIÈCE S’ARRÊTAIT ENTRE MES JAMBES DANS UN PUBIS-TIROIR EN PLASTIQUE TRANSPARENT. CA SE PASSAIT AU GRAND PALAIS PENDANT LA FOIRE INTERNATIONALE D’ART CONTEMPORAN ET POUR 5 FRANCS JE DONNAIS UN VRAI BAISER D’ARTISTE PAS UN BISOU ENFANTIN MAIS UN FRENCH KISS… JE DEVENAIS ALORS LA PUTE, LA FEMME À ABATTRE, LA “MONSTRE”. IL EN À RÉSULTÉ UN TRÈS GRAND SCANDALE MÉDIATIQUE. J’AI ÉTÉ INVITÉE SUR DE NOMBREUX PLATEAUX DE TÉLÉVISION. SUITE À CELA, J’AI REÇU UN TÉLÉGRAMME COMPLÈTEMENT ILLÉGAL DE L’ÉCOLE DANS LAQUELLE J’ENSEIGNAIS, OU JE FORMAIS DES ANIMATEURS SOCIO-CULTURELS, DES MÉDIATEURS, DES AGENTS D’ART, LE TÉLÉGRAMME DISAIT : “TON ATTITUDE PUBLIQUE DE CES DERNIERS JOURS EST INCOMPATIBLE AVEC TON RÔLE DE FORMATEUR. TOUS TES COURS SONT SUSPENDUS, NOUS AVISERONS POUR TON COMPTE.” LE MONSTRE EST UNE CRÉATURE QUI FAIT PEUR, QUE L’ON CACHE…C’EST EXACTEMENT CE QU’ILS ONT TENTÉ DE FAIRE. IL S’EN EST SUIVI UNE PÉRIODE TERRIBLE OU N’AYANT PLUS D’ARGENT, J’AI PERDU MON ATELIER AVEC BEAUCOUP D’ŒUVRES CAR ON M’A MIS LES SCELLÉS. JE NE SAVAIS PAS OÙ DORMIR ET N’AVAIS PAS DE QUOI MANGER. JE N’ÉTAIS PLUS QU’UN MONSTRE, CONDAMNÉ, DÉSHUMANISÉ, PUNI. TOUT COMME MES PRÉDÉCESSEUSES FÉMINISTES, J’AI DÉCIDÉ DE FAIRE DE CES CRITIQUES MES FORCES, D’ASSUMER CETTE FIGURE DE MONSTRE, DE LA REVENDIQUER ET D’EN FAIRE LE SYMBOLE DE MA PRATIQUE, DE MA LIBÉRATION, DE MON ÉMANCIPATION. CE QUI EST MONSTRUEUX SERAIT LE CONTRAIRE DE LA BEAUTÉ QUI POURTANT EST SEULEMENT UNE QUESTION DE DIKTATS DE L’IDÉOLOGIE DOMINANTE EN UN POINT GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE DONNÉ. SI ON S’EN ÉLOIGNE, ON DEVIENT LE MONSTRE. CES NOTIONS DE BEAUTÉ CHANGENT SANS CESSE SUIVANT LA COMMUNAUTÉ, LA TRIBU À LAQUELLE ON APPARTIENT, L’ENVIRONNEMENT DANS LEQUEL ON VIT. DANS MA SÉRIE DE SELF-HYBRIDATIONS AFRICAINES, J’AI CRÉÉ UNE ŒUVRE QUI EST UN MANIFESTE (COMME LA PLUPART DE MES ŒUVRES) ET QUI DÉMONTRE CE QUE JE VIENS DE DIRE SUR LA BEAUTÉ . JE PRÉSENTE UNE FEMME AVEC UN ÉNORME LABRET, TRÈS CONFIANTE ET SÛRE DE SA CAPACITÉ DE SÉDUCTION CAR DANS SA TRIBU, LA FEMME QUI A LE PLUS GRAND LABRET POSSIBLE EST LA PLUS DÉSIRABLE. SI NOUS PORTIONS UN LABRET ICI ET MAINTENANT, DANS NOTRE CULTURE OCCIDENTALE, NOUS SERIONS DÉSIGNÉES PAR LA MAJORITÉ COMME DES MONSTRES IMBAISABLES ! DANS LA LITTÉRATURE, IL ARRIVE QU’ON SE TRANSFORME EN MONSTRE. ON PARLE ALORS DE « MÉTAMORPHOSE ». LE TERME VIENT DE TROIS MOTS GRECS: MÉTA QUI SIGNIFIE « CHANGEMENT », MORPH QUI SIGNIFIE « FORME » ET OSE QUI SIGNIFIE « ACTION ». J’AI TOUJOURS VOULU ÔTER LE MASQUE DE L’INNÉ QUI NOUS EST IMPOSÉ DÈS LA NAISSANCE SANS QUE L’ON AIT RIEN CHOISI ET J’AI BEAUCOUP TRAVAILLÉ CONTRE LES STÉRÉOTYPES DE BEAUTÉ! LES STÉRÉOTYPES SONT TOUJOURS LÀ, CE SONT DES RACCOURCIS, DES NORMES, DES VULGARISATIONS, UNE MANIÈRE IMPOSÉE ET SIMPLISTE D’ORGANISER LA SOCIÉTÉ. JULIETTE DROUET RÉPLIQUAIT À SON AMANT VICTOR HUGO QUI LUI DISAIT QU’ELLE ÉTAIT JOLIE : « JE SUIS PIRE ». CETTE RÉPLIQUE, JE L’AI TOUJOURS ADORÉE ET GARDÉE EN MOI. J’AI CRÉÉ LES OPÉRATIONS-CHIRURGICALES-PERFORMANCES POUR DÉRÉGLER LA CHIRURGIE ESTHÉTIQUE DE SES HABITUDES D’AMÉLIORATION DE RAJEUNISSEMENT ET POUR FAIRE UNE OPÉRATION CHIRURGICALE QUI N’ÉTAIT PAS CENSÉE APPORTER DE LA BEAUTÉ MAIS DE LA LAIDEUR, DE LA MONSTRUOSITÉ, DE L’INDÉSIRABILITÉ. LA PREMIÈRE IDÉE DE CES PERFORMANCES ÉTAIT DE LUTTER CONTRE LES MODÈLES. ALLER À L’ENCONTRE DES VALEURS DE LA CHIRURGIE ESTHÉTIQUE, EN DÉRÉGLANT SON OBJECTIF INITIAL. JE NE SUIS PAS CONTRE LA CHIRURGIE ESTHÉTIQUE MAIS CONTRE CE QU’ON EN FAIT. ET J’APPRÉCIE LORSQU’ELLES DEVIENNENT UNE INVENTION DE SOI-M’AIME ; POUR CHANGER LA REPRÉSENTATION DE CE CORPS, DE CES CORPS EN LES RÉINVENTANT EN DEHORS DES MODÈLES. LE CORPS PEUT-ÊTRE UN TERRAIN DE JEU QUI MÉRITE D’ÊTRE EXPLORÉ ET SURTOUT LE MIEN, EN TANT QUE FEMME, JE ME DOIS D’INTERROGE LE MONDE DU CORPS. J’ÉTAIS TOUT-À-FAIT DÉSIRABLE ET ATTIRANTE. JE N’AVAIS PAS DE PROBLÈME AVEC MON PHYSIQUE. J’AIMAIS MON IMAGE. JE PLAISAIS AUX HOMMES ET AUX FEMMES. MAIS QUAND JE ME REGARDAIS DANS UN MIROIR, J’ÉTAIS TRÈS ÉTONNÉE CAR J’AVAIS DANS LA TÊTE PLEIN D’IDÉES SINGULIÈRES, TRÈS DIFFÉRENTES DES AUTRES, ET JE TROUVAIS QUE CETTE DIFFÉRENCE NE SE VOYAIT PAS. JE NE COMPRENAIS PAS QUE MON VISAGE, QUI ÉTAIT MA CARTE DE VISITE, NE REFLÈTE PAS CETTE DIFFÉRENCE. AU DÉBUT, J’EXPRIMAIS MA DIFFÉRENCE À TRAVERS DES TENUES EXCENTRIQUES ET DES COMPORTEMENTS PROVOCANTS. J’ÉTAIS LA NINA HAGEN DE SAINT-ETIENNE. EN LISANT LE LIVRE D’EUGÉNIE LEMOINE-LUCCIONI, “LA ROBE”. UN PASSAGE M’A CAPTIVÉE. IL DIT : “LA VIE EST DÉCEVANTE. DANS LA VIE, ON N’A QUE SA PEAU, IL Y A MALDONNE DANS LES RAPPORTS HUMAINS PARCE QUE L’ON N’EST JAMAIS CE QUE L’ON A… J’AI UNE PEAU D’ANGE ET JE SUIS UN CHACAL, UNE PEAU DE FEMME MAIS JE SUIS UN HOMME…”. UNE PEAU DE CROCODILE ET JE SUIS UN TOUTOU. JE N’AI JAMAIS LA PEAU DE QUI JE SUIS. J’AI DEMANDÉ AUX CHIRURGIENS DE COMPRENDRE MA DÉMARCHE : J’AI VOULU METTRE EN AVANT L’IDÉE DE DIFFÉRENCE. J’AI FAIT PLACER DES IMPLANTS HABITUELLEMENT UTILISÉS POUR RÉHAUSSER LES POMMETTES SUR MES TEMPES CE QUI CRÉE DEUX BOSSES. JE VOULAIS MONTRER QUE SI ON ME DÉCRIS SANS ME VOIR COMME UNE FEMME AVEC DEUX BOSSES ON POUVAIT DIRE DE MOI C’EST UN MONSTRE INDÉSIRABLE MAIS SI L’ON ME VOIT, ON PEUT PARFOIS CHANGER D’AVIS. JE SUIS APPARUE D’AUTANT PLUS MONSTRUEUSE QUE J’AI ESSAYÉ LIBREMENT DE FAIRE CE QUE JE VOULAIS AVEC MON CORPS AFIN DE FUIR LES STÉRÉOTYPES. C’EST CELA QUI EST LE PLUS CHOQUANT, QU’UNE FEMME FASSE CE QU’ELLE VEUT DE SON CORPS SANS ACCEPTER LES DIKTATS. LA MAJORITÉ VOIT ENCORE LES ARTISTES COMME DES DÉCORATEURS D’APPARTEMENTS OU DE MUSÉES. POUR QUE CE SOIT PLUS CHOQUANT IL AURAIT FALLU QUE JE PERDE MA SÉRÉNITÉ POUR MOI. LA LIMITE ÉTAIT DE FAIRE QUELQUE CHOSE EN LEQUEL JE POUVAIS MALGRÉ TOUT ET MALGRÉ L’OPINION EXTÉRIEUR ME SENTIR BIEN. LE MONSTRE FASCINE, ON VOIT EN LUI LA PROMESSE DE CHANGEMENT, LA FENÊTRE VERS UN MONDE OÙ LA PENSÉE MANICHÉENNE DU BIEN ET DU MAL, DU BEAU ET DU MONSTRUEUX PERD SON SENS AU PROFIT DE LA LIBERTÉ. ON A DIT QUE J’ÉTAIS FOLLE, QUE CE QUE JE FAISAIS N’ÉTAIT PAS DE L’ART, QUE J’ÉTAIS LA PLUS GRANDE MASOCHISTE DU MONDE. NÉANMOINS, MON PREMIER DEAL AVEC LE CHIRURGIEN ÉTAIT : « PAS DE DOULEUR… » NI PENDANT, NI APRÈS. QUINZE ANS, VINGT ANS SONT PASSÉS , IL N’EST PAS RARE QU’ON ME DISE : « ORLAN COMME TU ES BELLE » ET JE RÉPONDS ALORS « MAIS EST-CE QUE VOUS M’AVEZ BIEN REGARDÉE ? » « EST-CE-QUE VOUS AVEZ VU QUE J’AI DEUX BOSSES SUR LES TEMPES ? » ET LES GENS DISENT « OH MAIS ÇA TE VA TRÈS BIEN… » MES BOSSES, CES DITES HORREURS, CES DITES MONSTRUOSITÉS SONT DEVENUES DES ORGANES DE SÉDUCTION…C’EST MA DÉCAPOTABLE ! JE NE “SUIS” PAS, JE “SOMMES” CAR JE SUIS IMPRÉGNÉE DE TOUT CE QUI S’EST PASSÉ AVANT MOI. J’IMPLORE LES MONSTRES DE LA NORMATIVITÉ GENRÉE DE REPRENDRE POSSESSION DE LEUR DESTIN, DE SORTIR DU SCHÉMA PRÉCONÇU QUI ÉTAIT LÀ AVANT EUX, PORTANT DES SOUFFRANCES/NÉVROSES ENRACINÉES DANS L’INCONSCIENT COLLECTIF. DÈS L’ENFANCE LE FAIT DE CONSIDÉRER L’AUTRE, CELUI QUI EST DIFFÉRENT, QUI ÉCHAPPE À NOTRE COMPRÉHENSION COMME UN MONSTRE EFFRAYANT EST LE DÉBUT DE L’ENFERMEMENT DANS LES CASES, DANS LES NORMES… CAR SORTIR DES NORMES C’EST AUSSI SE RAPPROCHER DU MONSTRE. L’AUTRE AURA TOUJOURS TORT D’ÊTRE “AUTRE”. OUTRE SON “EXOTISME” SÉDUISANT, IL NOUS RENVOIE À LA CRAINTE DE L’INCONNU. LE MONSTRE NE PARLE PAS, NORMALEMENT CAR L’ON PARLE À SA PLACE. POUR LE PHILOSOPHE QUEER ET TRANS PAUL B. PRECIADO, CEUX QUI DÉTIENNENT D’HABITUDE LA PAROLE SONT CEUX QUI DÉFINISSENT LES ÊTRES MONSTRUEUX. DANS JE SUIS UN MONSTRE QUI VOUS PARLE (GRASSET, 2020), IL DÉCRIT SA PROPRE IDENTITÉ MONSTRUEUSE, CONSTRUITE AU TRAVERS DES DISCOURS ET PRATIQUES CLINIQUES : « ON M’AVAIT ASSIGNÉ LE SEXE FÉMININ, ET COMME LE SINGE MUTANT, JE ME SUIS EXTIRPÉ DE CETTE CAGE ÉTRIQUÉE, CERTES POUR ENTRER DANS UNE AUTRE CAGE, MAIS AU MOINS CETTE FOIS-CI DE MA PROPRE INITIATIVE. JE VOUS PARLE AUJOURD’HUI DEPUIS CETTE CAGE CHOISIE ET REDESSINÉE DE “L’HOMME TRANS”, DU CORPS DE GENRE NON BINAIRE. » PAUL B. PRECIADO S’ATTAQUE AU « FANATISME DE LA DIFFÉRENCE SEXUELLE » QUI REPOSE SUR UN RÉGIME BINAIRE : L’HOMME ET LA FEMME. LE MONSTRE RÉSIDERAIT AU-DELÀ DE CES CATÉGORIES DE SEXES RENFORCÉES, SELON LUI, PAR LE DISCOURS DISCRIMINATOIRE PSYCHANALYTIQUE. « ET CETTE CATÉGORIE DE L’AUTRE, N’EST-ELLE PAS D’AUTANT PLUS PROBLÉMATIQUE SI CET AUTRE SE VOIT ATTRIBUER LES CARACTÉRISTIQUES D’UN MONSTRE, À SAVOIR UN NON-HUMAIN, UN AUTRE QU’HUMAIN ? » RÉDUITS AU SILENCE, LES MONSTRES DEVIENNENT ICI RÉVÉLATEURS D’UN RAPPORT DE SOUMISSION ET DE DOMINATION. DANS UN MONDE BINAIRE OÙ L’ON NE PEUT-ÊTRE QUE “BELLE” OU “BÊTE”, (D’AILLEURS ON NE DIT PAS LE “BEAU” ET LA “BÊTE”) LE MONSTRE EST SATANISÉ, CONDAMNÉ CAR LE MONSTRE EST “L’AUTRE”, CELUI QUI N’EST PAS COMME NOUS, CELUI QUI ÉCHAPPE AUX NORMES. SI LE MONSTRE EST CELUI-CELLE QUI ÉCHAPPE À NOTRE COMPRÉHENSION DU MONDE, ON PEUT TOUS ET TOUTES ÊTRE LE MONSTRE DE QUELQU’UN.E. “QUAND JE VOUS PARLE DE MOI, JE VOUS PARLE DE VOUS. COMMENT NE LE SENTEZ-VOUS PAS ? AH ! INSENSÉ, QUI CROIS QUE JE NE SUIS PAS TOI !” VICTOR HUGO. LE MONSTRE N’EXISTE ALORS QUE DANS LES YEUX DE CELUI OU CELLE QUI LE REGARDE. TOUT EST UNE QUESTION DE CONSTRUCTION ARCHÉTYPALE DE CE QU’EST “L’AUTRE”. « CE QUE L’HOMME VOIT FRÉQUEMMENT NE L’ÉTONNE PAS, MÊME S’IL EN IGNORE LA CAUSE. MAIS SI CE QU’IL N’A JAMAIS VU ARRIVÉ, IL PENSE QUE C’EST UN PRODIGE. NOUS APPELONS “CONTRE NATURE” CE QUI ARRIVE CONTRAIREMENT À L’HABITUDE : IL N’Y A RIEN, QUOI QUE CE PUISSE ÊTRE, QUI NE SOIT PAS SELON LA NATURE. QUE CETTE RAISON UNIVERSELLE ET NATURELLE CHASSE DE NOUS L’ERREUR ET L’ÉTONNEMENT QUE LA NOUVEAUTÉ NOUS APPORTE, L’APPARITION DU MONSTRE RELÈVE D’UN MANQUE DE RAISON ET D’EXPÉRIENCE. » DANS LES ANNÉES 70 J’AI CRÉÉ MA SÉRIE “CORPS-SCULPTURE”. LA PLUPART DU TEMPS MON VISAGE EST CACHÉ, SOIT PAR LA POSE SOIT PAR LES CHEVEUX OU UN MASQUE. POUR METTRE EN SCÈNE LE CORPS ET LUI ENLEVER SON IDENTITÉ POUR QU’IL RESSORTE COMME UNE SCULPTURE. C’ÉTAIT DES MINI PERFORMANCES, MAIS DANS LESQUELLES J’ARRÊTAIS UN MOUVEMENT, UNE IDÉE, UNE IMAGE DE CORPS POUR CRÉER UNE SCULPTURE SINGULIÈRE ET INATTENDUE, ET UNE ŒUVRE EXTRÊMEMENT VOLONTAIRE, ÉLABORÉE, DÉCIDÉE. J’APPARAISSAIS NUE MAIS JE DÉNONÇAIS LA GESTIQUE APPRISE DE LA SÉDUCTION FÉMININE TELS LES DÉHANCHEMENTS, LES ÉPAULEMENTS, LES MIÈVRERIES, LA BOUCHE EN AVANT, LES JEUX AVEC LES CHEVEUX. JE CRÉAIS DES ATTITUDES REBELLES, INVENTIVES, EXPRESSIVES. SÉDUIRE ET AIMER PLAIRE, POUR MOI, CELA PEUT SIGNIFIER AIMER PARLER, DÉFENDRE DES IDÉES, REGARDER QUELQU’UN DANS LES YEUX SANS BATTEMENTS DE CILS ET/OU MINAUDERIES. JE PRÉSENTAIS MON CORPS DIFFORME, INHABITUEL DANS DES TORSIONS ET POINTS DE VUES QUI LE RENDAIENT MONSTRUEUX CAR MONTRÉ AUTREMENT. JE DEVENAIS MIROIR DE TOUS CEUX ET TOUTES CELLES QUI ME REGARDAIENT. JE LEUR MONTRAIS QUE LE BEAU PEUT DEVENIR GROTESQUE UNIQUEMENT SI ON LE REGARDE DEPUIS UN ANGLE NOUVEAU. C’EST CETTE IDÉE DE NOUVEAUTÉ QUI CRÉE LE MONSTRE DANS UN MONDE CONSTRUIT PAR LES CASES ET LES PRÊTS-À-PENSER. POUR MONTAIGNE, IL NOUS FAUT DÉPASSER NOS APRIORIS, NOTRE JUGEMENT DOGMATIQUE, POUR VOIR À TRAVERS LE MONSTRE. L’INCONNU, DÈS LORS QU’IL DEVIENT ORDINAIRE, PERD SES TRAITS EFFROYABLES. LES MONSTRES N’EXISTENT PAS, MAIS LA PEUR DE L’INCONNU, ELLE, EST BIEN RÉELLE. HORS C’EST L’INCONNU QUI M’A TOUJOURS FASCINÉ, LE FAIT DE M’ÉMANCIPER DE MA PROPRE ÉMANCIPATION, DE TOUJOURS PENSER CONTRE SOI. IL FAUT TOUTE UNE VIE POUR TUER LE MONSTRE QUI EST EN NOUS. |
2022
ORLAN, “THE ARTIST AS FERMENT OF THE SOCIAL BODY”, Leonardo, Volume 55, Numéro 6, The MIT Press, p. 635-640.
JE SUIS ORLAN, ENTRE AUTRES, ET DANS LA MESURE DU POSSIBLE, ET MON NOM S’ÉCRIT CHAQUE LETTRE EN CAPITALE CAR JE NE VEUX PAS QUE L’ON ME FASSE RENTRER DANS LES RANGS, JE NE VEUX PAS QUE L’ON ME FASSE RENTRER DANS LA LIGNE. JE SUIS ARTISTE, MAIS JE PRÉFÈRE DIRE « JE SOMMES», CAR JE SUIS IMPRÉGNÉE, SQUATTÉE PAR TOUT CE QUI S’EST PASSÉ AVANT MOI PAR MON ÉDUCATION ET PAR MON ENVIRONNEMENT. MA VIE EST LE FERMENT DE MON ŒUVRE, DE MON ART, AINSI QUE TOUS LES ORGANISMES ET MICRO-ORGANISMES QUI M’HABITENT ET HABITENT TOUTES CELLES ET TOUS CEUX QUI M’ENTOURENT, ET MES DIFFÉRENTS FORMATAGES. « TENTATIVE DE SORTIR DU CADRE ». EST UNE OEUVRE DONT L’OBJECTIF EST L’ÉMANCIPATION. J’AI ESSAYÉ TOUTE MA VIE DE SORTIR DU CADRE, DES CADRES ET D’«ACCOUCHER DE MOI-M’AIME». JE SUIS MUTANTE, INNOVANTE, MOUVANTE, NOMADE ET AFFECTÉE PAR L’AUTRE, LES AUTRES POUVANT AUSSI DEVENIR DES FERMENTS DES INTERCESSEURS TRANSFORMATEURS. JE SUIS MON PROPRE FERMENT, JE SUIS COMPOSÉE DE CELLULES, DE MICRO-ORGANISMES ET DE BACTÉRIES… JE PROVOQUE MOI-MÊME MA PROPRE TRANSFORMATION, DESTRUCTION, CONSTRUCTION, DÉFORMATION ET REFIGURATION. JE ME TRANSFORME ET J’INTERAGIS AVEC CE QUI ME COMPOSE… JE ME RÉINVENTE. JE SUIS UN AGENT RESPONSABLE QUI AGIT SUR MON ORGANISME, SUR MES CELLULES, ET SUR MA CHAIR. MA PROPRE SUBSTANCE S’AUTO-TRANSFORME. SUBSTANCE QUI AGIT SUR UNE AUTRE EN LA FAISANT FERMENTER. JE TENTE D’AGIR SUR LA SOCIÉTÉ ET SUR LES PENSÉES. JE SUIS MOI-MÊME UNE SORTE DE FERMENTATION. EN TANT QU’ARTISTE INTERROGEANT DES PHÉNOMÈNES DE SOCIÉTÉ, JE M’APPARENTE À UN FERMENT TENTANT D’AGIR SUR UNE AUTRE SUBSTANCE : LE CORPS SOCIAL QUE J’ESSAIE D’ENSEMENCER AVEC UN FERMENT POUR CRÉER UN SFUMATO ENTRE FIGURATION ET REFIGURATION. POUR MOI, CE PROCESSUS DE CRÉATION EST AU CENTRE DE MA RÉFLEXION. CE DERNIER PERMET DE RÉVÉLER LE CONCEPT DE MON ŒUVRE. MES PROCESSUS SONT DIVERS, ÉVOLUTIFS, PLURIDISCIPLINAIRES… TOUT CE CHEMINEMENT PERMET DE CRÉER UNE NOUVELLE RÉALITÉ, DE DÉPASSER LES LIMITES DE L’ŒUVRE, DU CORPS ET DE L’HUMAIN DANS LES TRANSFORMATIONS EFFERVESCENTES ET MULTIPLES. LA FERMENTATION EST UN PROCESSUS MÉTABOLIQUE CONVERTISSANT GÉNÉRALEMENT DES GLUCIDES EN ACIDES, EN GAZ OU EN ALCOOLS SE DÉROULANT DANS UN MILIEU PRIVÉ D’OXYGÈNE. CE PROCÉDÉ DONNE LIEU À UNE ÉVOLUTION DE LA MATIÈRE, TRANSFORMATION, TRANSMUTATION… LA FERMENTATION EST UN PROCÉDÉ NATUREL ET CHIMIQUE QUI NOUS VEUT DU BIEN. LES FERMENTS CHANGENT LA COULEUR, LA TEXTURE ET LA MATIÈRE. IL EXISTE DES FERMENTS LACTIQUES, SULFURIQUES, ALCOOLIQUES(METTRE PLUS DE CAS DE FERMENTATION ET …) ENTRE AUTRES. GRÂCE À L’ARTOGENESE ET A L’ARTOBIOTE CONSTITUÉ DE LECTURES, D’EXPÉRIENCES, D’INFORMATIONS, D’ÉMOTIONS, D’INTERCESSIONS, DE MÉMOIRES, DE CONCEPTS DE DÉCISION… JE PARLERAI DANS MON OEUVRE DE FERMENTATION ARTISTIQUE CAR “NOUS AVONS L’ART POUR NE PAS MOURIR DE LA VÉRITÉ” (FRIEDRICH NIETZSCHE). JE TRAVAILLE DEPUIS LONGTEMPS À LA FRONTIÈRE DE L’ART ET DE LA SCIENCE ET TOUT L’ENJEU EST DE RENCONTRER LES SCIENTIFIQUES ET LES INSTITUTIONS INTÉRESSÉS PAR DE TELLES COLLABORATIONS. CE FUT LE CAS AVEC LE LABORATOIRE DU GROUPE SYMBIOTICA (UNIVERSITY OF WESTERN AUSTRALIA’S SCHOOL OF ANATOMY AND HUMAN BIOLOGY) OU LE CNRS, L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE ET JENS HAUSER, EXPERT EN BIOTECHNOLOGIES. DANS MON ŒUVRE TOUT EST FERMENT, TOUT EST GERME DE MÉTAMORPHOSES EN MÉTAMORPHOSES ET DE CHANGEMENTS EN CHANGEMENTS. JE QUESTIONNE MON APPARENCE DANS CETTE MÉTAMORPHOSE CONTINUE ; DEPUIS MES OPÉRATIONS-CHIRURGICALES-PERFORMANCES OÙ J’AI VOULU ME RÉINVENTER, ME DÉCONSTRUIRE POUR ME RECONSTRUIRE, JUSQU’À MES SELF-HYBRIDATIONS POST OPÉRATOIRES QUI INTÈGRENT L’IMAGE DE MON VISAGE AVEC CES DEUX BOSSES SUR LES TEMPES. JE CONSIDÈRE L’HYBRIDATION COMME ÉTANT UN FERMENT QUI MONTRE QUE 1 + 1 N’EST PAS 2 MAIS ÉGAL À 3 CAR L’AUTRE IMAGE QUI ÉMERGE EST UNE NOUVELLE IMAGE QUI N’AURAIT PAS PU SURGIR SANS LES DEUX AUTRES FERMENTS. CETTE NOUVELLE ŒUVRE N’AURAIT PAS PU GERMER SI LES DEUX AUTRES NE S’ÉTAIENT PAS EMBRASSÉES, EMBRASÉES… MON CORPS DEVIENT ALORS FERMENT, OUTIL, SUPPORT ET ŒUVRE. JE SUIS UN CORPS RIEN QU’UN CORPS TOUTE ENTIÈRE UN CORPS, ET C’EST LE CORPS QUI PENSE. MON CORPS ET SON ADN QUI L’A FABRIQUÉ PROPULSENT DES FERMENTATIONS. IL EST CONSTAMMENT VOUÉ À DES TRANSMUTATIONS DITES « D’ART CHARNEL » QUI SE DIFFÉRENCIENT DES TRANSFORMATIONS QUI N’EXISTENT QUE DANS LES PIXELS DE LA CHAIR VIRTUELLE. IL Y A DONC UNE TRANSFORMATION DU CORPS, DE L’APPARENCE DE MANIÈRE PLUS OU MOINS TANGIBLE, PLUS OU MOINS ÉPHÉMÈRE, AINSI QU’UNE TRANSFORMATION DES LIMITES ENTRE LE RÉEL ET LE VIRTUEL. DANS LA VIE ON A PAS QU’UN CORPS, ON A DES CORPS, DES IMAGES DE CORPS TOUTES TRÈS DIFFÉRENTES, COMME LA MATIÈRE QUI SE TRANSFORME ET QUI FERMENTE, ELLE A PLUSIEURS CORPS, UNE APPARENCE EN CONSTANTE MUTATION. C’EST UN CORPS EN DÉVELOPPEMENT. CES IMAGES APPARAISSENT TOUT AU LONG DE LA VIE, DES IMAGES DE CORPS DE L’EMBRYON AUX IMAGES-SCULPTURES DU BÉBÉ, AUX IMAGES-SCULPTURES D’ADOLESCENT.E.S, IMAGES-SCULPTURES D’ADULTE, IMAGES-SCULPTÉES DE L’ADULTE PUIS DES PERSONNES ÂGÉES, TRÈS ÂGÉES ET PRÈS DE LEUR MORT. À CHAQUE ÂGE UNE FERMENTATION NOUVELLE ENTRAÎNE UNE TRANSFORMATION TOTALE, LA NATURE ME DONNE SON EXEMPLE, ME MONTRE LA VOIE DE SA TRANSFORMATION. DANS MES ŒUVRES C’EST LA MÊME CHOSE : IL Y A FERMENTATION ET DE GERME EN GERME DES CRÉATIONS SURGISSENT. JE SUIS CONSTAMMENT EN ÉVEIL, À LA RECHERCHE DE NOUVELLES CONNAISSANCES PAR LA LECTURE DE LIVRES, D’ARTICLES, DE THÈSES ET L’ÉCOUTE DE CONFÉRENCES, DISCOURS OU TOUTES AUTRES MANIFESTATIONS INTELLECTUELLES… DANS LE CHAMP DE L’ART, MAIS PAS QUE, CAR JE PENSE QU’UN.E ARTISTE DOIT S’INTÉRESSER À TOUS LES DOMAINES DE LA SOCIÉTÉ. COMME JE L’AI TOUJOURS AFFIRMÉ HAUT ET FORT, LE CORPS EST POLITIQUE, LE PRIVÉ EST POLITIQUE. J’AI TOUJOURS ÉTÉ HABITÉE PAR UNE ENVIE DE DÉCOUVRIR DES CHOSES NOUVELLES, D’ALLER PUISER AILLEURS HORS DE MES CHAMPS HABITUELS POUR SORTIR DE MON ESPACE DE CONFORT, APPRENDRE ET REBONDIR SANS CESSE. TOUT A BASCULÉ ET S’EST MIS EN PERSPECTIVE LORSQUE J’AI ENTENDU PARLER DES CELLULES HÉLA : MES PERCEPTIONS DU STATUT DU CORPS VIVANT ET DU CORPS MORT, DE CE QU’EST LE CORPS MÊME, DE LA MATIÈRE CORPS, DE CE QUI LE CONSTITUE ET DE SA FONCTION DANS LA SOCIÉTÉ, TOUT CELA MIS EN PERSPECTIVE AVEC LES EXPÉRIENCES MENÉES PAR LES SCIENTIFIQUES SUR LES CORPS. LES CELLULES « HÉLA » SONT DES CELLULES CANCÉREUSES QUI PEUVENT SE DIVISER INDÉFINIMENT, ON PEUT AINSI DIRE IMMORTELLES. ELLES ONT ÉTÉ DÉCOUVERTES DANS LE PRÉLÈVEMENT D’UNE TUMEUR D’UNE PATIENTE ATTEINTE D’UN CANCER DU COL DE L’UTÉRUS. CETTE PATIENTE S’APPELAIT HENRIETTA LACKS, ELLE EST MORTE DE CE CANCER LE 4 OCTOBRE 1951. DEPUIS, SES CELLULES HÉLA, ( CONTRACTION DU NOM DE LEUR HÔTE ), N’EN FINISSENT PAS D’ÊTRE DIFFUSÉES DÉMULTIPLIÉES, CULTIVÉES, ET ACHETÉES DANS TOUS LES LABORATOIRES DU MONDE ENTIER. DU PRÉLÈVEMENT ORIGINEL, OBTENU SANS LE CONSENTEMENT D’HENRIETTA LACKS, C’EST DÉSORMAIS PLUSIEURS DIZAINES DE TONNES DE CELLULES QUI N’EN FINISSENT PLUS DE SE PROPAGER DANS LE MONDE ET DANS LE TEMPS, DANS L’HISTOIRE. CELLULES PATHOLOGIQUES D’UN CORPS MORT, DONT LE VOLUME NE CESSE D’AUGMENTER DEPUIS SA MORT, EN RESTANT BIEN VIVANTES ET AVEC LESQUELS LES CHERCHEURS EXPÉRIMENTENT ET INNOVENT. DE MA DÉCOUVERTE DES CELLULES « HÉLA » NOMBREUSES DE MES ŒUVRES EN DECOULENT. MA PERFORMANCE « TANGIBLE STRIP-TEASE EN NANO SÉQUENCES » PAR EXEMPLE, DURANT LAQUELLE J’AI, ENTRE AUTRES, PLACÉ MES BACTÉRIES, MA FLORE BUCCALE, MA FLORE INTESTINALE, MA FLORE VAGINALE EN CULTURE, PUIS JE LES AI MISES DANS LE CONGÉLATEUR DE « SUPBIOTECH » AVEC LEQUEL JE TRAVAILLAIS POUR CULTIVER MON MICROBIOTE À -80° À CÔTÉ DE CELLULES HÉLA AVEC LESQUELLES TRAVAILLE CE LABORATOIRE. SUP’BIOTECH, PAR SES COMPÉTENCES, SA RÉACTIVITÉ ET L’INVESTISSEMENT DE SES ÉQUIPES, M’A PERMI DE RÉALISER LES CULTURES MICROBIOTIQUES INDISPENSABLES À CETTE PERFORMANCE. LA PLUPART DE MES AUTOPORTRAITS SONT VISIBLES, LISIBLES PAR NOS YEUX, CES NOUVEAUX AUTOPORTRAITS METTENT EN SCÈNE MON HOLOBIONTE, MON ÉCOSYSTÈME ENVIRONNEMENTAL. C’EST UN PHÉNOTYPE ÉTENDU, C’EST DE L’INVISIBLE QUE JE TENTE DE RENDRE VISIBLE. C’EST DE L’ORDRE D’UN STRIP-TEASE ABSOLU. J’AI APPELÉ BEAUCOUP DES MES OEUVRES STRIP-TEASE POURTANT J’ESTIME QUE LE STRIP-TEASE POUR UNE FEMME EST IMPOSSIBLE CAR NOUS SOMMES TOUJOURS REVETUES D’APPRIORIS, DE PRETS A PENSER, DE STEREOTYPES, DE MODELES ET IL EST IMPOSSIBLE DE LES OTER, ET DE S’EN DEVETIR. “STRIP-TEASE SANS PEAU EN ÉCORCHÉE” ESSAI D’ALLER PLUS LOIN DANS UN EFFORT JUSQU’AU BOUTISME POUR SE DÉBARRASSER DE SES ORIPEAUX ET MON AUTOBIOGRAPHIE DE NOUVEAU “ORLAN STRIP-TEASE TOUT SUR MA VIE TOUT SUR MON ART” PARU AUX ÉDITIONS GALLIMARD. CETTE ŒUVRE ÉTAIT UN NOUVEL AUTOPORTRAIT SOUS FORME DE PERFORMANCE BIOTECHNOLOGIQUE EN COLLABORATION AVEC L’ARTISTE MAËL LE MÉE, UN SPECTACLE QUE NOUS AVONS ÉLABORÉ ENSEMBLE ET PRÉSENTÉ À PLUSIEURS REPRISES, TOUJOURS SUIVANT LE MÊME PROTOCOLE. DANS LA SALLE, LE PUBLIC ÉTAIT VÊTU DE COMBINAISONS DE PROTECTION DE LABORATOIRE BLANCHES. ILS PORTAIENT ÉGALEMENT UN MASQUE ET VISIONNAIENT DES IMAGES PROJETÉES DE MON PROPRE MICROBIOTE. TOUT AU LONG DE LA PERFORMANCE, LE PUBLIC AVAIT ENTRE LES MAINS DE GRANDES PÉTRIS CARRÉES DANS LESQUELS SE TROUVAIT LA CULTURE DE MES BACTÉRIES, DE MES DIFFÉRENTES FLORES. ENSUITE, JE ME FAISAIS UNE PRISE DE SANG PUBLIQUE, COLORÉ DE MANIÈRE À CE QU’IL DEVIENNE FLUORESCENT, QUI CIRCULAIT DANS UN TUBE DE 70 MÈTRES DANS LA SALLE, SOUS LA LUMIÈRE NOIRE, PASSANT DE MAIN EN MAIN DES SPECTATEURS PARTICIPANTS. MON CORPS SE DÉPLOYAIT DANS LA SALLE, DE MAIN EN MAIN, ET DE CORPS EN CORPS. MON HOLOBIONTE ET CELUI DE TOUS CEUX ET TOUTES CELLES QUI TRAVAILLENT AVEC MOI FORMENT UN MÉTA-ORGANISME PEUPLÉ DE MILLIERS D’AUTRES ORGANISMES, D’AUTRES ÊTRES VIVANTS, D’AUTRES GERMES ET DES FERMENTS POTENTIELS. ILS ME REDÉFINISSENT ET CE PARFOIS SANS QUE JE NE M’EN RENDE COMPTE. JE SUIS LEUR ORGANISME PRINCIPAL. MES LECTURES FONT PARTIE DE MON HOLOBIONTE. DELEUZE ET GUATTARI EN PARLAIENT AVEC LE TERME D’INTERCESSEUR.E.S. LES FERMENTS S’INSCRIVENT DANS CHAQUE PENSÉE ET DE NOUVEAUX DIRES BOUILLONNANTS FABRIQUENT DE NOUVELLES FORMES. LA FERMENTATION EST, EN EFFET, UN PROCESSUS EN MOUVEMENT, UNE MUTATION, UNE MODIFICATION DE LA MATIÈRE AFIN DE CRÉER QUELQUE CHOSE DE COMPLÈTEMENT NOUVEAU. ÇA FERMENTE, ÇA BOUILLONNE, LA CHIMIE OPÈRE, ÇA GONFLE, ÇA GAZE. DANS L’ART ET PAR L’ART DES ALCHIMIES CONCEPTUELLES OPÈRENT DE LA SÉRENDIPITÉ À MES VOLONTÉS DÉCISIONNELLES.
ORLAN |
ORLAN, “SORTIR DE LA NUIT DES TEMPS”
Sur une proposition de Leïla Voight, Le Grand Musée du Monde Maya m’a invité à créer des œuvres à partir de sa collection de la statuaire Maya. J’en suis très honorée et reconnaissante. Je l’ai accepté par amour, respect et désir d’artiste de comprendre les œuvres des civilisations autres que celles de mes propres origines culturelles. Ne plus être ethnocentriste, être ouverte aux autres, à la différence c’est aussi s’enrichir de ces magnifiques héritages. Ces œuvres sont d’une très grande force et j’en suis admirative! J’aimerais pouvoir rencontrer les artistes qui les ont conçus! J’aime associer, faire coexister des temps différents, m’inscrire dans ses œuvres venues d’un autre temps et tenter de leur réinsuffler un corps, de la vie, les réveiller en quelque sorte et m’éveiller à leurs mystères dans un infini respect. “Le vrai mystère du monde est le visible, non l’invisible” disait Oscar Wilde. Cette statuaire représente de vraies personnes qui ont été bien vivantes. Je me rapproche d’elles, je me sens proche d’elles. En tant qu’êtres humains nous avons un ADN presque semblable. Elles contribuent à me reconstruire, elles me pénétrent, me transforment, je les accueillent et elles m’accueillent. C’est une hospitalité réciproque ; c’est une rencontre. Elles me désaliénent de moi-m’aime. Elles sont bienveillantes, moi aussi. A tâtons nous nous cherchons, nous échangeons, nous apprenons les unes par les autres. Je suis émerveillée par ce bonheur visuel donné par l’hybridation, c’est-à-dire par la rencontre. Sans elles, sans moi, il ne pouvait se produire ce moment de grâce de la création en un troisième CORPS-OEUVRE. Sans ses deux instances qui se rencontrent, qui se mêlent, qui s’essaient au dialogue et sans ce bel échange, l’œuvre n’aurait pu exister. Cette rencontre casse les murs de glace entre les cultures, entre les arts. J’ai toujours voulu sortir du cadre et casser les murs entre les pratiques artistiques. Ici par la sculpture et la photo numérique, entre les couleurs de peau, entre les sexes, entre l’ancien et l’actuel, entre les hommes et les femmes, entre les générations, entre ceux et celles qui croient et ceux et celles qui ne croient pas …Casser ces murs de glace c’est comprendre aussi la leçon du Baroque ou tout est basé sur le “et”. La culture chrétienne nous demande de sataniser l’une des deux parties en nous demandant de choisir entre le bien ou le mal. Cependant, le baroque nous montre St Thérèse qui jouit de la flèche de l’ange dans une extase érotique “et” extatique. Lacan en a beaucoup parlé. Le Baroque remplace le “ou” par le “et”. Ce n’est pas les Mayas “ou” moi mais les Mayas “et” moi . J’illustre cette notion dans mes nouvelles œuvres qui n’auraient pas pu être créées sans les Mayas, sans le “et” qui abolit la dichotomie entre le bien “ou” le mal en les rendant amis et complémentaires, inventif et génératif d’une nouvelle forme en embrassant l’opposition. Cet échange m’enrichit, me transforme. De même, les Mayas se sont hybridés aux Olmèques, leurs prédécesseurs. Il est important pour moi que dans l’œuvre finale on puisse voir la statuaire, la sculpture Maya pour lui rendre hommage ainsi qu’aux artistes anonymes qui l’ont créé. Des artistes qui, comme moi, essaient de créer des œuvres pour rendre compte de leur époque. Je ne voulais pas qu’il y ait fusion mais que dans un rite d’amour, une nouvelle création jaillisse sans nuire ni à l’un ni à l’autre. Je suis pour les identités nomades, mutantes et mouvantes. La dérive identitaire engendre des oppositions, des guerres…
Sortir du noir Sortir de l’ombre Sortir de la nuit des temps Résurgence, résurgence Autre apparence Seconde chance Entrer dans un autre monde Réapparence Renaissance Refiguration Compris telle une partition De musique et d’images et de sons Bienveillance et réinterprétation Tel un vrai baiser d’artiste Perçant avec son langage L’épaisseur des ans L’épaisseur des murs De siècle en siècle Sortir du cadre Casser les barreaux de la cage Sortir de l’ombre Sortir du noir Sortir de la nuit des temps*
Ses œuvres sorties des entrailles de la terre ont été faites par des artistes, elles sont dans des matériaux durables, jade, pierre… des matériaux qui peuvent traverser le temps et donc être vus de culture en culture, d’héritage en héritage. Se donner à voir c’est prendre le risque de l’interprétation, de la traduction par d’autres à qui un message venant de loin est à décrypter. C’est une bouteille dans cette mer de temps à travers les siècles pour d’autres civilisations. * Paroles de la chanson Sortir du noir, ORLAN featuring Kat May, Le slow de l’artiste, 2023 |
2021
ORLAN, “ORLAN : Strip-tease, tout sur ma vie, tout sur mon art“, Gallimard.
2011
ORLAN, “Ceci est mon corps. . . ceci est mon logiciel“, postface by Maria Bonnafous-Boucher, Al Dante Aka, Collection Cahiers du Midi – Collection de l’Académie royale des beaux- arts de Bruxelles, Bruxelles.
2007
ORLAN, “Pomme Cul et petites fleurs“, Baudoin Janninck, Paris, France.
1999
ORLAN, “ORLAN“, Alliance Française, Buenos Aires, Argentine.
1998
ORLAN, “Une oeuvre d’ORLAN“, Muntaner, Marseille.
1984
ORLAN, “Viva ! in 1979-1983, Cinq ans d’Art Performance à Lyon“, Comportement, Environnement, Performance, p11-14, Lyon, France
1967
ORLAN, “Prosésies écrites“, Préfaces by Henri Simon Faure & Lell Boehm, illustrations by J. M. P., Imprimerie Lithographique Peagno, St-Etienne, France